|  Courrier
de la Mayenne 8/10/98 
 | Durand renoue avec l'Histoire Quarante-deux ans après Albert Bouvet, le Mayennais est devenu le premier coureur français à remporter la classique des routiers-sprinteurs. En 1992, déjà, au Tour des Flandres, il avait fait tomber le vieux record de Jean Forestier. "J'entre à nouveau dans l'histoire "... C'est une phrase qui peut être prononcée sans vanité aucune, quand son auteur s'appelle Jacky Durand. Depuis hier aprés-midi, au bout de l'intemminable avenue de Grammont où tant d'audacieux ont vu leurs rêves s'envoler après avoir été rattrapées par la meute des sprinteurs, c'est ce gros déconneur de Dudu qui a remporté Paris-Tours, quarante-deux ans après Albert Bouvet. Jacky, c'est le vélo-fou rire, le copain qui remonte le moral des troupes le soir à table et fait sourire le peloton entre deux poursuites. Mais l'on sait depuis longtemps ce que dissimule son visage jovial : ce sont des traits tirés par la douleur d'un baroudeur qui se lance dans de longs raids. Pousser son organisme jusqu'à l'extrême et à la fois goûter aux plaisirs de la vie... A 31 ans, Durand a réussi depuis hngtemps ce mariage du corps et de l'esprit; c'est donc un homme déjà heureux qui est entré dans l'Histoire du cyclisme français pour la seconde fois, hier. La première, c'était un dimanche pluvieux du mois d'avril 1992 quand le Mayennais installé dans le Limousin avait été le premier coureur français à remporter le Tour des Flandres, trente-six ans aprés Jean Forestier, au terme d'une chevauchée de 222 kilomètres. Ajoutez six automnes de plus et c'est Albert Bouvet qu'il a rejoint en déposant Mirko Gualdi, à 350 mètres de la ligne. « Je savais qu'il allait assez vite, commençait-il. J'ai pensé qu'il menait un faux train pour m'obliger à lancer le sprint de loin. Je ne savais pas quoi faire. Démarrer ? Attendre ? J'étais étonné qu'il ne se retourne pas. Il devait être un peu cuit... Effectivement, le réservoir de l'Italien était vide et le Français se déportait brusquement sur la gauche de la haussée. Il obtenait rapidement la capitulation de son adversaire. Durand levait les bras une première fois, puis lançait un pong rageur et s'offrait un final délirant. Gualdi hors d'état de nuire, il se retourna, plongea son regard dans l'avenue de Grammont, et ressentit une grande jouissance." J'étais en train de gagner une classique et au loin je voyais un grand peloton avec tous les sprinters auxquels j'avais échappé. C'était un grand bonheur et aussi un soulagement car ça faisait cinquante bornes que j'avais le coeur dans la boîte à gants". | 
Cette épreuve pour routiers-sprinteurs, le coureur de Casino l'avait 
  dans la tête depuis un bon moment parce qu'"une course avec pas trop de 
  relief convient bien à Jacky Durand" rappelait-il après sa victoire. 
  Autant pour Paris - Tours que pour le championnat du monde de Valkenburg, il 
  avait fait l'effort de rester motivé jusqu'à la fin de la saison. 
  "Habituellement je fais la tournée des critériums d'après 
  Tour, je m'applique à disputer un bon Tour du Limousin parce que c'est 
  chez moi, et après j'ai l'esprit en vacances. Là, je me suis forcé 
  à courir le Tour de Pologne, j'ai terminé deuxième en gagnant 
  une étape. Un début de tendinite m'a freiné il y a une 
  dizaine de jours en Italie. J'étais un peu inquiet mais finalement tout 
  s'est bien passé." 
  Les premiers mots qui lui venaient à l'esprit après son sccès 
  de prestige, tous les coureurs professionnels rêvent de les prononcer 
  au moins une fois. ll avait compris qu'il était dans 
  « l'un des plus grands jours de sa carrière », car il se 
  sentait propulsé par « des jambes extraordinaires comrne (il) n'en 
  avait jamais eues », et qui allaient le mener à « l'état 
  de grâce «Quand on se dit que l'on veut rouler encore plus vite 
  et qu'on y parvient, c'est grisant. Ça fait mal aux muscles et en même 
  temps c'est un plaisir. » C'est donc beaucoup plus qu'un instinct qui 
  lui souffla que cette journée représentait une occasion peut-être 
  unique qu'il ne lui fallait pas laisser échapper. Il était habité 
  par une conviction : celle que son destin lui appartenait totalement ou presque. 
  Tellement « dans la course » qu'il en avait oublié de signer 
  la feuille de départ, hier matin à Saint-Amoult-en-Yvelines, et 
  exécutait cette formalité en bon dernier de la classe. Mais une 
  fois en selle, il commençait à réviser ses classiques. 
  « La veille, en écoutant, j'avais compris que le vent serait toupurs 
  favorable et j'avais décidé de me lancer dans une longue échappée 
  de 200 bomes. Mais comme il n'était pas l'allié que j'attendais, 
  j'ai modifié ma tactique. » 
  A cinquante kilomètres de l'arrivée, Durand appartenait à 
  un groupe de dix coureurs s'apprêtant à fondre sur Fabio Roscioli, 
  envoyé en éclaireur par Bartoli, mais il ne s'y plaisait pas. 
  " J'ai laissé faire en pensant à Kinsipuu (NDLR: le sprinteur 
  des Casino) qui était dans le peloton. Les Telekom et les Mapei ne roulaient 
  pas du tout, et j'ai voulu jouer ma carte en attaquant à vingt bornes 
  de l'arrivée pour désorganiser le groupe. Je voulais profiter 
  de ma grande condition physique au risque d'échouer et de finir à 
  deux minutes. Car c'est terrible les regrets, le soir... »
   avec 
  albert Bouvet
 avec 
  albert Bouvet
  Le retour de mirko Gualdi, renforçait l'idée selon laquelle son 
  plan était bon. "S'il n'est pas là, je ne gagne pas. Si je ne 
  suis pas là, il ne fait pas deuxième" résumait Durand, 
  évidemment satisfait du partage final. Après sa victoire dans 
  le Tour des Flandres, il y a six ans, Jacky Durand avait lancé que  
  " tout ce qui lui arriverait de bien serait du bonus ". " J'ai eu pas mal de 
  bonus, disait-il hir. J'ai gagné de grandes courses, je possède 
  des maillots jaunes et tricolores..." Après la Ronde, il ne voulait pas 
  être, comme il l'avait entendu autour de lui, "un autre de mol" du nom 
  de ce modeste coureur belge dont le palmarès faisait état de nombreuses 
  kermesses et d'un.... Paris - Roubaix en 1988. Alors il avait particulièrement 
  savouré ses deux titres de champion de France, ses succès dans 
  le Tour, à Cahors (1994), dans le prologue de Saint-Brieuc (1995) et 
  à Montauban (1998) où il fut le seul Français à  
  remporter une étape. Ce lundi, Durand espérait pourtant se retrouver 
  à la "une" pour son exploit avant de revêtir, dimanche, le maillot 
  de l'équipe de France à Valkenburg. 
  "Maintenant, je pourrais me reirer", suggérait-il sans en avoir l'intention, 
  car il reste au fils d'agriculteurs de Ballots un dernier rêve : gagner 
  Paris-Roubaix, pour laquelle, de passage dans la tranchée d'Arenberg, 
  il a sacrifié plusieurs côtes au printemps dernier. En attendant, 
  il restera le coureur français qui aura fait tomber deux grands records 
  de longévité, aux Flandres et en Touraine, sur le Muur et l'Avenue 
  de Grammont. " Dommage pour Albert ", souria-t-il une dernière fois. 
  Et pourtant, à voir toutes les sollicitations auxquelles devait répondre 
  l'ancien, c'est comme s'il avait remporté Paris-Tours une seconde fois 
  -la dernière-, alors que Durand répétait à l'envi 
  : " Je rentre  dans l'Histoire".                             
  L'Equipe, 5/10/9
    
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